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Septembre 2020 : Rubina s’est installé en Australie, à Sydney plus précisément pour passer une licence d’économie/comptabilité. Elle dispose d’un visa de deux ans et d’une bourse pour la scolarité.
Janvier 2020 : Rubina a fini ses études et souhaiterait partir travailler en Australie.
Mars 2017 : Rubina a quitté l’orphelinat pour retourner vivre avec sa mère dans la région de l’Annapurna, une zone de moyenne montagne à 8h de route à l’ouest de Katmandu. Elle y poursuit des études d’"hotel management".
2012 : Rubina est la première des enfants à être arrivée « ici ». Par ici, j’entends, dans cette ONG, qui a ses débuts occupait un 2 pièces minuscule. Elle avait 8 ans quand elle est arrivée, elle en a maintenant 16. Autant vous dire qu’elle se sent comme à la maison ici, et que pour elle, c’est Laxmi et Krishna qui ont joué le plus grand rôle éducatif. Et quand je vois ce qu’elle est devenue, je me dis qu’ils ont fait du sacré bon boulot.
Elle est originaire d’un petit village reculé dans la région montagneuse de l’Annapurna, à un jour de bus et un jour à pied de Kathmandu. Sa mère vit encore, elle est mariée et a un autre enfant, un garçon de 8 ans. Vous me direz, mais pourquoi Rubina vit-elle ici alors ? Bienvenue dans la culture népalaise… : Rubina est née alors que sa mère n’avait même pas 20 ans et qu’elle n’était pas mariée. Je ne sais pas quels sont les circonstances de sa « conception », mais on peut à peu près tout imaginer, quand on lit les « histoires » des enfants. Toujours est-il que Rubina ne connaît pas son père et qu’elle a été élevée par sa mère dans des conditions difficiles, financièrement au début (une mère célibataire ne peut pas subvenir aux besoins de ses enfants ici) puis psychologiquement, à la suite du mariage de sa mère. Quand une femme se marie (ou qu’une veuve se remarie), les enfants du premier père sont rejetés par la famille du second, il n’y avait donc plus de « place » pour Rubina dans la nouvelle famille de sa maman (c’est une bouche de plus à nourrir)… Sa mère a bien essayé de la garder avec elle, jusqu’à ce que sa belle-mère ne tente d’assassiner Rubina… Plutôt que de risquer la vie de sa fille, elle a alors écouté le conseil d’une femme de son village d’envoyer Rubina au « Child care center ». Ce bureau, qui s’occupe de placer des enfants orphelins ou assimilés dans des foyers, a contacté Krishna, qui venait tout fraîchement de créer son orphelinat.
Au début, ça n’a pas été facile pour Rubina, qui ayant déjà 8 ans à ce moment-là, avait eu le temps de s’attacher énormément à une maman qui reste malgré tout toujours en contact avec elle. Rubina m’a confié qu’elle a pleuré beaucoup les premiers jours. Puis après 15 jours, un autre petit garçon l’a rejoint ici et puis elle est allée à l’école, s’est fait des amis et aujourd’hui, elle ne veut plus repartir dans son village. Elle y retourne une fois par an pour Dashain, le plus important festival du Népal, l’équivalent de notre Nöel à nous, où tout le monde se retrouve en famille. Ce qui est d’autant plus contradictoire, puisque justement la famille où elle va ne veut pas d’elle. Elle n’en a pas conscience heureusement (ni de la tentative d’assassinat) et il semblerait que la belle-famille la tolère pendant 8 jours… A la question « Ne préfèrerais-tu pas rester dans ton village quand tu rentres à Dashain ? », elle s’est exclamée : « Non, non, ici c’est bien mieux ! » En quoi ? Sa réponse : « Ici je peux avoir une meilleure éducation, l’école est d’un meilleur niveau, tout est mieux que dans mon village… ».
Quand elle est arrivée ici, elle a été « retrogradée » de 3 niveaux à l’école, en gros elle s’est retrouvée en maternelle alors que dans son village elle était déjà au CE2… Elle a tout (ré)appris et surtout son niveau d’anglais s’est considérablement amélioré. Elle le parle d’ailleurs presque couramment, ce qui est un gros avantage ici au Népal pour sa future vie professionnelle.
Au fil des années scolaires, elle a presque rattrapé son retard, puisqu’elle a sauté 2 classes et se trouve actuellement en « class 9 », l’équivalent de la 2de-1ère en France je pense. C’est la première des filles de sa classe, et elle joue des coudes avec un ou deux garçons pour la première place chaque année. Ils sont une cinquantaine dans sa classe. Rubina est très sérieuse et motivée, et quand on la voit faire ses devoirs sans l’aide de personne, on comprend vite qu’elle est non seulement intelligente, mais qu’en plus, elle est tout à fait autonome. Elle adore aller à l’école, elle a pleins de copines et quelques copains, elle joue à l’élastique à la récré et à la corde à sauter. Sa matière favorite est l’anglais, mais les maths par contre, elle aime pas… (alors qu’elle est très douée aussi pour le calcul du PGCD !). Elle fait partie des scouts aussi, elle aime jouer du tambourin, et participer à des programmes d’aide aux personnes.
Elle adore danser sur la musique népalaise, lire des romans comme Harry Potter (qu’elle lit en anglais, et même si elle ne comprend pas tout, elle est fan !), jouer au badminton, aux petits chevaux et faire la cuisine. Sur ce plan là (dans la culture népalaise, les filles, dès qu’elles ont leurs règles, doivent apprendre à cuisiner pour se préparer à être une bonne femme d’intérieur et qu’on accepte de les épouser, donc Mithu, Yeshoda et Rubina se relaient à tour de rôle tous les matins pour aider en cuisine), Rubina est la plus douée, elle a énormément appris de Laxmi et aime ajouter des épices comme dans « Ratatouille ». Elle cuisine même seule certaines fois si nécessaire. Elle est toujours en recherche de nouvelles saveurs et elle essaie à peu près tout. Ses plats sont toujours très bons et relevés. J’ai appris la cuisine népalaise grâce à elle d’ailleurs, c’est une très bonne prof. J’aime bien être avec elle en cuisine, elle est, comme à l’école, efficace, rapide et douée. Quand je la complimente sur ses talents de cuisinière, elle me répond : « Yes, of course I’m Rubina ! » avec un grand sourire aux lèvres. Cette confiance en soi lui a été insufflée par Niru (la volontaire népalaise qui a travaillé ici plusieurs années en échange du paiement de ses frais de scolarité à la fac) qui a fait décidément un super bon job auprès de ces enfants et surtout des filles ici. Avec Rubina en cuisine, on discute de pleins de choses, elle fait des expériences scientifiques (pour répondre à la question « le sel est-il soluble dans le kérosène ? » de son cours de science, elle a testé par elle-même, j’ai adoré :) et elle m’a demandé l’autre jour : « Miss, potatoes are carbonhydrates, right ? » Yes, Rubina, right, that’s why we don’t need to much potatoes with rice because rice is already full of carbonhydrates ! Elle se pose des questions, elle fait des manips, elle a décidément l’esprit scientifique :) ).
Plus tard, elle veut devenir hôtesse de l’air, pour faire le tour du monde et voir tous les pays, porter un beau tailleur et aider les gens qui prennent l’avion. Quelque chose me dit qu’elle ne deviendra jamais hôtesse de l’air, parce qu’ici quand on est originaire d’une basse caste comme elle, on ne peut pas décrocher un boulot comme ça. Mais par contre, quand on a ses capacités et sa motivation, dans un pays où les mentalités évoluent tout doucement, on peut espérer qu’elle trouve un job qui lui permette de survivre. Et puis, comme elle dirait : « We can not say what future will be, right ?! »
A la question “Es-tu heureuse ici ?”, elle m’a répondu, sans détour, que oui, elle y est heureuse et qu’elle ne veut pas partir. Elle considère tous les autres enfants comme ses petits frères et sœurs, et elle prend son rôle de grande sœur à cœur. Pour elle ici, ce n’est pas un orphelinat mais une « guest house », elle n’a aucune notion de qui paie ses frais et c’est tant mieux comme ça. Elle n’a pas non plus encore compris sa situation familiale (mais je ne doute pas qu’elle la comprenne bientôt) et elle considère comme une chance le fait d’avoir été envoyée ici. Et je suis tout à fait d’accord avec elle.